Un article du MONDE de ce jour, par Le Pr. Olivennes (Professeur en gynécologie et obstétrique)
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Le débat sur l’accès à l’assistance médicale à la procréation (AMP) des couples homosexuels fait rage. Le gouvernement recule, les associations menacent, certains députés se rebiffent. La presse s’en donne à coeur joie, et s’interroge sur l’insémination avec donneur, sur la gestation pour autrui (GPA) et sur le devenir des enfants. Des manifestants défilent contre ces possibilités, et l’opposition à ce projet fédère les foules.
Il est peut-être opportun de rappeler qu’en matière de reproduction, nos gouvernements successifs, nos députés et donc notre pays se classent, dans bien des domaines, parmi les plus rétrogrades d’Europe. Fort d’une natalité qui caracole en tête du classement européen, notre pays néglige de prendre en compte le problème de la stérilité.
La France a été le troisième pays a réussir la fécondation in vitro (FIV). Nos équipes ont été abondamment citées lors de l’émergence de cette technique, il y a trente ans. Les médecins du monde entier venaient en France s’initier à ces techniques qui ont révolutionné la prise en charge de l’infertilité.
LES PLUS MAUVAIS D’EUROPE
La situation a bien changé. Aujourd’hui les résultats de la FIV nous classent parmi les plus mauvais d’Europe. Même si elle est prise en charge par la Sécurité sociale, la tarification des actes et les moyens dont nous disposons ne nous permettent pas de nous mettre au niveau des meilleures équipes mondiales. Mais il y a plus grave encore. Certaines pratiques ne sont pas autorisées en France, ou difficilement accessibles, ce qui oblige de plus en plus de couples ou de femmes à se rendre à l’étranger pour bénéficier de moyens techniques adaptés à leur situation.
Trois problèmes principaux constituent à mes yeux un déni de prise en charge et condamnent potentiellement certaines femmes à renoncer à leur projet d’enfant. C’est tout d’abord le cas du don d’ovocytes. Lorsque les femmes souhaitent avoir un enfant au-delà de 38 ans (et parfois avant), leurs ovaires peuvent, hélas, dysfonctionner. Aujourd’hui une femme de 38 ans n’a pas fait la moitié de sa vie, mais ses ovaires vieillissent aussi vite qu’auparavant. Les femmes font des enfants de plus en plus tard, et l’explosion des divorces aboutit à de nouvelles unions à un âge plus avancé.
Le don d’ovocytes est parfois le seul recours pour permettre à une femme de porter l’enfant conçu avec le sperme de son mari. Bien que pareil don soit légal en France, en pratique, il est très difficile à réaliser. Il oblige la femme à trouver une donneuse et le taux de succès est inférieur à ceux obtenus ailleurs en Europe.
Le dernier recensement en France conduit par l’Agence de biomédecine faisait état de 400 dons en 2011. Aucun chiffre officiel n’existe, mais des milliers de Françaises partent chaque année à l’étranger pour recevoir un tel don. C’est un véritable scandale. Depuis des années, les professionnels de santé réclament une table ronde pour réfléchir à des solutions. Cette situation ne peut plus durer, car le don d’ovocytes sera de plus en plus nécessaire à la reproduction.
L’IMPOSSIBILITÉ DE CONGELER DES OVOCYTES
Le deuxième scandale est l’impossibilité pour les femmes de congeler leurs ovocytes pour préserver leur fertilité et assurer ainsi une éventuelle grossesse tardive. Depuis environ cinq ans, la congélation des ovocytes a connu une véritable révolution scientifique. Cette technique est aujourd’hui réellement fiable et la congélation d’une dizaine d’ovocytes permet d’espérer une grossesse dans plus de 50 % des cas. Une femme peut ainsi stocker quelques ovocytes, ce qui lui permettrait d’envisager une grossesse plus tardive que la physiologie ne le lui autoriserait.
Cette technique est disponible dans la plupart des pays développés du monde, mais en France elle est restreinte aux femmes qui ont une pathologie ou une maladie mettant en jeu leur fertilité. En dehors de ces indications marginales, les femmes concernées doivent, là encore, se tourner vers l’étranger pour bénéficier de cette technique qui représente un progrès médical indéniable.
Enfin, le dernier enjeu touche les femmes seules. Elles sont de plus en plus nombreuses à se présenter dans mon cabinet autour de la quarantaine. Pour la plupart elles rêveraient, bien sûr, de procréer avec un partenaire masculin. Elles ne l’ont pas trouvé ou se sont retrouvées avec des partenaires sans réel désir d’enfant ou avec un désir à contretemps. Elles sont inquiètes de voir leur horloge biologique tourner et ne veulent pas vivre sans enfant. Elles se tournent alors vers l’AMP en quête d’insémination avec donneur.
Les pédopsychiatres français sont plutôt réticents sur ce type de projet, mais certaines équipes étrangères qui pratiquent ces inséminations pensent que si la femme ne rejette pas a priori toute relation masculine et qu’une attention est portée à ne pas établir une relation trop fusionnelle avec l’enfant, l’équilibre de ces enfants n’est pas menacé. Le travail de suivi fait par ces équipes démontre que ces familles se portent bien si la sélection des candidates à l’insémination est faite avec attention. Ce type de demande d’AMP va aussi en augmentant.
DES POSITIONS PLUS PRAGMATIQUES
Bien sûr, toutes ces techniques soulèvent des questions éthiques. L’avenir des enfants ainsi conçus mérite réflexion et prudence, mais, en France, le débat est minimal et la révision de la loi de bioéthique qui régule ces pratiques n’est opérée que tous les dix ans et encore : une grande partie des députés souhaitaient supprimer cette révision systématique.
En Europe, la Belgique, l’Espagne, le Royaume-Uni, les pays scandinaves, sans parler de nombreux pays de l’Est pratiquent toutes ces techniques de reproduction. Ces pays ne sont pas tous irresponsables ; ils ont aussi des lois et se sont posé les questions éthiques. Ils ont des positions plus pragmatiques et aussi plus respectueuses du désir actuel des couples ou des femmes.
Notre pays reste un petit village gaulois campé sur ses positions rétrogrades mais surtout hypocrites, car des milliers de femmes se rendent à l’étranger, parfois à une heure de Paris, pour bénéficier de ces techniques. Cela institue une insupportable sélection par l’argent et donc par le statut social. La France n’est pas un pays ami pour les femmes confrontées à une stérilité présente ou future. Elles doivent ou devront quitter leur pays ou renoncer à leur désir d’enfant. Il est peut-être temps pour elles de se rebeller sérieusement.
François Olivennes (Professeur en gynécologie et obstétrique)